
A propos
« Recommencer, attraper, plonger, porter, garder le rythme, trier, scotcher, 8h par jour, 7 jours sur 7, 365 jours par an. L’usine, elle ne s’arrête jamais » Nous sommes allés à la rencontre d’ouvrier.e.s. Ils nous ont raconté leurs vies à l’usine, le travail qu’ils y réalisent. Rouge feu s’inspire de ce groupe de femmes et d’hommes, de ces employés qui s’échinent au rythme des cadences imposées. Dans ce paysage industriel, peu de place pour la respiration, la pensée, au-delà des mouvements répétitifs et des automatismes, se dessinent des individualités singulières qui tentent de s’exprimer dans l’espace qui leur reste. La solidarité et l’humanité se heurtent à la violence aliénante de cet univers. Au milieu de ce brouhaha, chacun dévoile progressivement son désir de fugue, son instinct de survie. La forme est brute, percutante, immédiate. Des mots, des mouvements, une histoire sous forme d’hommage à la liberté.

Note d'intention
Le feu est le point de départ et de désir du spectacle. Nous avons choisi d’établir un dialogue avec cet élément, en le prenant pour ce qu’il est : une matière aussi fascinante que dangereuse. Nous avons travaillé à partir de la matérialité du feu, en explorant ses propriétés, ses sonorités, ses rythmes, sa force de propagation... Le feu est un partenaire de jeu extrêmement particulier, il oblige les danseuses.eurs à une attention et à une humilité constante face à sa puissance. La maîtrise du feu est un événement essentiel dans la croissance humaine, elle nous a amené au fil des siècles à cette hégémonie productiviste qui aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, les déforestations, les incendies géants et autres fléaux liés à l’intensité des activités industrielles, inquiète et donne à penser. L’usine est le lieu où s’incarne pleinement ce productivisme, c’est là qu’il se concrétise. Chaque jour, dans de nombreux endroits du monde, des femmes et des hommes s’y rendent pour produire des biens divers et variés. Nous avons voulu témoigner de cela. Pour nous rapprocher de l’usine nous sommes allés à la rencontre d’ouvrier.e.s de la région de Quimperlé*. Nous avons établi un questionnaire pour qu’ils puissent partager avec nous, au plus près, leurs quotidiens. À quelle heure embauchez-vous ? Qu’est-ce que vous faites en arrivant à l’usine ? Quelles sont vos tâches ? Pouvez-vous nous les décrire très précisément ? Etc. Cette matière a été extrêmement précieuse pour créer un pont entre la danse et le travail, entre les ouvrier.e.s et les danseuses.eurs.
Comment le corps danseur peut-il témoigner du corps ouvrier ? Cette question soulève quelque chose de beau et de profondément empathique. Les danseuses.eurs partagent avec les ouvrier.e.s un même outil : le corps. S’il ne sert pas les mêmes objectifs et s’il n’est pas utilisé de la même manière, il y a tout de même des points de jonction. Les notions d’endurance, de rythme, de cadence, de pénibilité, de souffrance parlent à chacun d’eux. Nous avons créé les chorégraphies à partir de là, elles témoignent de cet usage du corps ouvrier et des gestes du travail. Les danseuses.eurs sont embarqués dans une spirale continue, une série de mouvements répétitifs et aliénants qui les oblige à une concentration maximum et engendre une grande dépense d’énergie. Des instants de fugues leur permettent heureusement de s’extraire de ce tourbillon et laissent place à l’expression des individualités. La machine bien huilée déraille et laisse entrevoir progressivement l’humanité de chacun. Le spectacle va crescendo jusqu’à l’incendie de l’usine. Les ouvrier.e.s continuent à travailler malgré les flammes autour d’eux. Nous avons tous en tête Charlot dans le film « Les temps modernes » où celui-ci lutte afin de maintenir le rythme de la chaîne et finit aspiré par les rouages, il y a quelque chose de similaire dans l’écriture de ce tableau, on y évoque un certain jusqu’au-boutisme de la performance au travail. À travers l’embrasement du plateau, la danse et la création musicale de Quinquis, le spectateur se retrouve plongé dans un espace onirique proche du cauchemar, multipliant des images enflammées et intenses afin de laisser libre court à son introspection. À la fin, les danseuses.eurs sont à bout de souffle, il ne reste plus que quelques braises et des cendres autour d’eux. Ils se retrouvent exposés et dépourvus. La chaîne a disparu, reste des femmes et des hommes, dont il faut prendre soin et avec lesquels on cherche à tisser un autre lien, un autre rapport humain.